est un mot japonais qu’il n’a pas une mais plusieurs traductions (ce serait trop facile…). Il s’agit d’un concept appliqué dans de nombreux domaines artistiques et qui signifie “distance” ou “intervalle”, à la fois dans un sens spatial et temporel.

Nous vous proposons de poursuivre notre rubrique dédiée au Japon avec une l’exploration du Mâ, une notion très présente dans l’architecture japonaise et qui influence notre quotidien d’architecte, car elle entre en résonance avec chacun de nos projets.

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Qu’est-ce que le Mâ en architecture ?

Symbolisé en japonais par un soleil surplombé de deux portes, le terme de Mâ s’emploie comme concept d’esthétique et désigne les différentes interprétations de l’espace entre deux objets ou deux phénomènes.

Il peut donc s’agir d’une distance physique (plusieurs mètres entre deux portes) ou temporelle (un silence entre deux phrases), d’un espace ouvert qui relie deux espaces ou deux moments.

La découverte de ce concept peut être déconcertante, car elle ne correspond pas au système de pensée occidental. Toutefois, le Mâ revêt une importance capitale dans notre façon de penser notre métier d’architectes et transparaît dans tous nos projets, sous une forme ou une autre.

Concrètement, le Mâ peut se traduire par un portail, une arche, une galerie, un sas, une marche, un chemin ou un couloir, ou tout autre objet architectural qui correspond à une notion d’intervalle, de transition entre deux états ou entre deux pièces, ou entre l’intérieur et l’extérieur d’un bâtiment.

Pourrait-on le résumer à une expression du vide ? Non. Disons plutôt qu’il s’agit d’exprimer un chemin potentiel, ce qui pourrait être et qui n’est pas encore… Le Mâ n’est pas le vide, c’est un espace chargé de sens, et le sens ne se situe pas dans un lieu, mais entre deux éléments. 

mâ architecture japon

Un concept connu en occident depuis à peine 50 ans

Arata Isozaki est l’une des figures de l’architecture japonaise contemporaine. Il est à l’origine de l’exposition « Mâ : espace-temps au Japon », organisée à Paris en 1978 et qui a introduit en occident ce concept à la frontière entre l’esthétique et la philosophie.

Selon lui, le vide n’existe pas sans le plein, la lumière n’existe pas sans l’obscurité, l’avant-garde n’existe pas sans la tradition, le visible n’existe pas sans l’invisible. La clé pour appréhender la perception d’un espace réside dans l’interprétation des contrastes. Comme le yin n’existe pas sans le yang : les contraires doivent être subtilement associés pour former un tout. 

La conception d’un lieu qui prend en compte les usages de ses occupants implique une organisation où le temps et l’espace ne peuvent être dissociés. Elle se pense en fonction de notions opposées qui rappellent celui du cycle naturel, une succession d’états différents. Elle matérialise la notion d’impermanence, chère à la culture orientale : rien n’est figé, tout évolue. Le temps et l’espace ne séparent pas, ils unissent. Le Mâ est donc cette sorte de vide, qui finalement n’en est pas un…

Si la recherche de l’harmonie esthétique est prépondérante, la nécessité d’atteindre l’harmonie au sens spirituel est tout aussi importante. Des espaces dédiés au silence ou des alcôves propices à la méditation représentent ainsi une expression du Mâ dans la maison japonaise. Ainsi, balcons, couloirs ouverts et coursives font partie des aménagements typiques, car ils créent des passerelles entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’avant et l’après. Ce sont ces transitions, ces qualifications des espaces qui donnent au lieu tout son sens.

mâ

« Fondamentalement, le mâ est l’intervalle qui existe obligatoirement entre deux choses qui se succèdent : d’où l’idée de pause. »

Augustin Berque et Maurice Sauzet

« Le Sens de l’espace au Japon. Vivre, penser, bâtir » , (Éditions Arguments, Paris, 2004)

Pourquoi prendre en compte le Mâ dans la conception d’un projet d’architecture ?

Imaginons un instant une pièce conçue dans un pur esprit d’optimisation de la place, mais sans prendre en compte le facteur humain. Par exemple, un studio qui regroupe dans une seule pièce la cuisine, le bureau, le lit et le tapis de gym. On peut facilement visualiser un espace en trois dimensions qui sera aménagé de façon pratique et esthétique, du moins sur le papier. Mais sera-t-il vraiment agréable à vivre ? 

Le travail sur les formes et les structures a une influence sur l’esprit ce la personne qui occupe le lieu. Pour améliorer le bien-être, il conviendra donc de créer une séparation distincte, à la fois physique, temporelle et symbolique, entre l’espace dédié au travail et celui dédié au sommeil. 

Séparer n’est pas dissocier mais relier. Un espace, quelque soit sa fonction, n’existe pas en lui-même. Comme le Mâ est l’intervalle, un espace de repos, de travail, de quelque usage ou non usage que ce soit, existe par sa relation aux autres, sa relation à l’extérieur.

Le Mâ n’est pas généré par les éléments physiques présents dans la pièce, il est perçu par la personne qui fait l’expérience d’évoluer dans cet espace à différents moments.

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En tant qu’architectes, nous devons prendre en compte ces paramètres pour produire un maximum d’effets positifs sur le ressenti des occupants d’un bâtiment, de favoriser l’interaction entre les personnes et les idées. 

Vous pensiez peut-être que l’architecture se résumait à une étude purement spatiale ? Pour nous, il s’agit de l’étude d’un objet complexe où chaque décision exprime quelque chose. Matière, structure, couleur, forme et lumière constituent un langage très riche pour exprimer le Mâ !

Pour aller plus loin dans votre exploration du Mâ : Ma, l’interval créatif

Crédit images : https://worldarchitecture.org/ et https://www.archdaily.com/